Cette lutte pour survivre

Publié le par gac

 

Il est des guerres enfouies. Elles sont pourtant si proches et de si longue durée ! Mireille en est une héroïne, toujours sur le fil du rasoir, harcelée par les loyers, plombée par les frais bancaires, pilonnée des mille frais quotidiens qui ne laissent rien de son minimum vieillesse. En dépit de tout, elle tient bon, ne laisse pas déferler les difficultés, protège l’avenir de son fils et les études de sa fille. Peut-être parce qu’elle est méditerranéenne, elle sait la force des mots.

 

Parce qu’elle est une révoltée, elle a brisé le capiton des compassions bien-pensantes pour faire entendre son cri.

 

Sa voix dit l’état d’urgence sociale dans lequel se débat la très grande majorité de la population. Quelque 1 200 000 adultes vivaient en 2006 avec le RMI (20 % de plus qu’en 2002), les allocataires des minima sociaux sont 3,5 millions et 6 millions de personnes en vivent. Toutes catégories confondues, le nombre de chômeurs recensés par l’ANPE dépasse les 5 millions. En dix ans, l’intérim a augmenté de 130 %, le nombre de CDD de 60 %, les CDI de seulement 2 %.

 

Sept millions de travailleurs perçoivent un salaire inférieur à 722 euros par mois. Un quart des enfants de 5 à 19 ans ne partent jamais en vacances. Comme Mireille, il leur faut rogner sur la nourriture, choisir entre la facture d’eau et celle d’électricité, dire non et toujours non aux envies des enfants, faire durer un peu plus longtemps que les ourlets ne le permettent les habits des enfants. Quel institut mesurera les jours d’angoisse et les nuits sans sommeil provoquées par des impayés de loyer dont le nombre n’a jamais été aussi grand ?

 

C’est à eux que Nicolas Sarkozy vient de s’adresser avec l’arrogance des maîtres. Aux travailleurs, il lance qu’il serait bien temps qu’ils réhabilitent la valeur travail et cessent de feignanter. À ces salariés aux poumons rongés par l’amiante, aux corps douloureux à force de tâches répétitives, il met en main un nouveau chantage : travaillez toujours, c’est la condition pour gagner à peine plus. À ces ouvriers qui vivent plus de dix ans de moins que les cadres, il promet de repousser encore l’âge de la retraite. Et c’est à tous ceux-là qu’il veut interdire de faire grève plus de huit jours ! Sans doute encore un luxe de trop que cette liberté de dire « trop, c’est trop », chèrement payée en retenues de salaire.

 

Le candidat ministre a du coeur, nous dit-il. La preuve, il a souffert d’une infortune conjugale. Voilà le périmètre de sa sensibilité ! Le reste n’est que racaille à karchériser, variable d’ajustement pour les impératifs des marchés financiers ou réservoir de voix à détourner. Lui, qui fait résonner les vieilles rengaines du mur de l’argent dressé contre le Front populaire et organise la traque aux enfants de sans-papiers, se cache derrière l’héroïsme trop grand pour lui de Guy Môquet. Le même qui cite sans vergogne Jean Jaurès a les faveurs du MEDEF, à qui il a lancé, comme Guizot, « enrichissez-vous » avant de rajouter « sans impôts ». Lui-même y a intérêt.

 

Cette parole de Mireille et de la grande majorité des Français, qui vit cette pauvreté qui n’est pas misère mais qui en est si proche, doit faire irruption dans la campagne présidentielle. Faute de quoi, cette dernière ne sera qu’un théâtre d’ombres sur le petit écran. Faut-il compter sur un François Bayrou tout acquis au libéralisme ? Ségolène Royal participera-t-elle un jour à ce vrai débat plutôt que tirer des missiles sur les 35 heures, reprendre le couplet sur la « valeur travail » et réintroduire par une porte dérobée un projet de constitution européenne refusé par notre peuple ? Ce n’est pas un « ordre juste » qu’attendent les salariés, mais la justice sociale.

 

Marie-George Buffet a décidé d’en faire le cœur de son projet. Ailleurs que dans les beaux quartiers.

Patrick Apel-Muller

 

Editorial paru dans l'Humanité édition du 30 janvier 2007

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