La crise de la politique, quelle crise ?

Publié le par gac

Par Charles Silvestre, journaliste communiste.

 

La désignation des candidats marque-t-elle un renouveau militant ?

 

Curieusement, en cette approche de l’élection présidentielle, personne ne parle de ce qui avait fait couler tant d’encre à l’issue de la précédente : la crise de la représentation politique. Pas un parti représenté au Parlement n’échappait, au soir du 21 avril 2002, à la surenchère des sarcasmes : ce brave monsieur Chirac, président sortant, recueillait péniblement la confiance d’un Français sur cinq qui s’était exprimé ; ce pauvre Lionel Jospin, leader présumé de la gauche, éliminé, quittait quasi honteusement la scène ; le Parti communiste tombait à son plus bas niveau. Seul Jean-Marie Le Pen, qualifié pour le second tour, triomphait, frappant de stupeur toute une jeunesse, et les analystes nous apprenaient que cette catastrophe provenait essentiellement de l’abstention des couches populaires en divorce avec la gauche de gouvernement.

 

Bref, il était impensable de ne pas tirer les leçons de ce « séisme ». On allait voir ce qu’on allait voir ! On a vu. À l’orée de la campagne proprement dite, le dispositif est quasiment le même qu’en 2002 : chaque parti - UMP, UDF, FN, PS, PCF, LCR, LO - a son champion. Et chacun(e) est investi(e) par les « siens » là où précisément on avait cru que la convention avait touché ses limites. Nicolas Sarkozy a transformé sa formation en club de supporters ; Ségolène Royal a gagné des sympathies préélectorales auprès des affiliés, anciens ou nouveaux du PS ; François Bayrou a obtenu de ses affiliés un plébiscite ; Marie-George Buffet a été mandatée, puis après consultation des collectifs antilibéraux, remandatée et confirmée par les adhérents ; Olivier Besancenot a été « choisi » par la seule LCR.

 

Jamais les militants n’ont été autant à l’honneur ! On en serait presque à se réjouir de ce renouveau du militantisme que l’on jugeait, il y a encore peu de temps, en crise profonde. Le problème est de savoir s’il s’agit réellement d’un renouveau militant DANS LA SOCIÉTÉ ou s’il s’agit de désignations dans lesquelles les adhérents sont invités, pour valider un nom, à faire valoir leur appartenance.

 

Cette alternative est essentielle. Elle renvoie, en effet, à la question du mouvement politique. Soit la politique est mouvement des idées, des personnes, prenant vie dans le quotidien, modifiant les rapports de forces, se fondant sur une activité militante visible sur le terrain, et les scrutins

 

interviennent dans ce cadre ; soit, par une inversion, la politique est concentrée dans le moment électoral, se jouant entre partis, l’entre-élections devenant comme on l’a vu l’application plus ou moins chaotique du mandat généralement confus de la majorité de circonstance.

 

En réalité, on assiste à une tricherie de la part des deux « grands » candidats : dire qu’ils sont les purs produits du choix des militants, c’est se moquer du monde. Contrairement aux apparences, ils ne relèvent pas du seul choix des cartes de l’UMP ou du PS. Ils ont été au moins habilités par les maîtres du CAC 40 ! Ce n’est pas une élucubration, cela a été dit, écrit noir sur blanc, jamais démenti. Même Bayrou, désireux de trouver sa place, a dû dénoncer ce « complot » politico-économico-médiatique. À l’évidence, la classe au pouvoir, effrayée par le succès du « non » au référendum sur le projet de constitution européenne, par le refus montant du libéralisme financier qu’il traduisait, a mûrement réfléchi à un dispositif électoral qui lui éviterait une récidive. Qu’on réfléchisse à ce seul fait : les deux vedettes mises en avant sont deux partisans du « oui ».

 

L’UMP et le Parti socialiste tendent à devenir, de fait, des machines électorales à l’américaine. Ils ont suivi des candidats autoproclamés, formatés et lancés pour être concurrentiels sur le « marché » électoral. Le mouvement était déjà amorcé à droite. Jacques Chirac s’y connaissait en machine à prendre. Mais, c’était encore dans les moeurs, parfois les pires, du « mouvement » ayant encore de vagues attaches avec le gaullisme. Le forcing personnel et précoce de Nicolas Sarkozy a un but : être « libre » de ses choix, libre bien sûr vis-à-vis de codes de conduite encore en vigueur à droite. La « rupture » a un sens : à une droite « molle » doit succéder une droite dure et mobilisée.

 

Sans confondre les positions respectives de l’un et de l’autre, il est indéniable que le phénomène Ségolène Royal est également significatif s’agissant du Parti socialiste. Les socialistes se sont ralliés, de haut en bas, à son panache blanc parce qu’elle a du panache. Ce qui se dit de la personne devient décisif. Elle est « bien », elle est « populaire », elle « en veut », elle dispute dans les sondages la tête de la course à l’autre vedette, champion de la droite. Pour le reste, tout n’est pas dit, mais déjà il y a de la synthèse dans l’air : le « dépassement » du « oui » et du « non » au référendum de mai 2005 justifie miraculeusement le social (du non)-libéralisme (du oui). Joli tour de passe-passe.

 

D’une certaine manière, les processus qui sont à l’oeuvre dans les deux cas signent une nouvelle dégénérescence des « vieux » partis. Là où il était question de rénover, on donne le coup de grâce. Là où il était besoin de redescendre à l’étage de la société, de sa vie, de ses histoires, de ses désirs, on franchit un nouveau palier dans les conduites d’État-major. Là où l’on évoquait une VIe République, on atteint la caricature de la Ve.

 

Mais, après tout dira-t-on, personne n’est obligé de se plier à ce scénario cousu main. Et c’est là qu’on attendait la nouvelle gauche antilibérale, la fameuse gauche de la gauche. Tout ou presque a été dit sur son échec à s’unir autour d’un(e) candidat(e). Trop compliqué, rétorquent les bonnes âmes qui ont du mal à dissimuler leur satisfaction ! Comment rassembler, affirment-elles, des partis et d’autres qui n’en sont pas, du structuré et du non-structuré, des réguliers et des irréguliers, des adeptes du tract et des surfeurs sur le Web, du centralisé et des électrons libres ? Personne chez les observateurs, qui jugent l’échec inévitable, ne s’est avisé de dire que cette complication était précisément à l’image de la politique telle qu’elle est vécue aujourd’hui en France. Et que, selon un mot célèbre, c’est de l’obstacle qu’il faut faire le passage. Comment, en effet, attendre de l’institué, de l’organisé, du centralisé qu’il donne le la, si c’est, justement c’est cela, l’institué qui est en crise ? Qu’il y ait besoin d’organisation, qui peut sérieusement le nier ? Mais n’est-ce pas avec des inorganisés qu’on fait des militants ?

 

La campagne du « non » au référendum a été efficace, avant même d’être victorieuse, pas seulement parce qu’il est plus facile de dire « non » que de dire « oui » à une alternative, mais parce que les non-organisés, les refus-de-vote aux scrutins précédents, cette espèce de majorité silencieuse de la gauche antilibérale, se sont reconnus dans ces tribunes où se retrouvaient organisés et inorganisés, militants de partis et militants sans parti. Les partis n’ont alors souffert d’aucun rejet, jouissant même d’un regain d’intérêt au vu de leur rôle précieux dans ce cadre ouvert. Demain, pour gagner à une cause si maltraitée dans les médias, il faudra aller chercher loin les sceptiques, les jeunes, qui se comptent par millions, il faudra sortir de son cercle, il faudra inventer. Sans cette obligation d’inventer, il n’y aura pas de changement de la donne politique, il n’y aura que des regrets les soirs d’élections.

Article paru dans l'Humanité des Débats édition du 6 janvier 2007

 

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